Une publication dans Royal Society Interface

La cinématique d’adhésion des coléoptères décryptée


Dans Recherche

Tristan Gilet et ses collègues du Mircofluidics lab (UR A&M - Faculté des Sciences appliquées), en collaboration avec le Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et évolutive (UR FOCUS)  et le TIPs de l’ULB,  viennent de percer un nouveau secret dans l’étude des mécanismes mis en place par la Chrysomèle de l’oseille au cours de sa marche. Ces recherches viennent de faire l’objet d’un article publié dans le journal of the Royal Society Interface(1) dans lequel ils décrivent les mouvements des extrémités des pattes du coléoptère lors de ses déplacements, grâce auxquels il adhère aux surfaces les plus lisses.  Comprendre ces mécanismes de marche peut s’avérer particulièrement intéressant pour le futur de la microrobotique.

La Chrysomèle de l’oseille est un coléoptère assez sédentaire, largement répandu dans le monde et qui reste le plus clair de son temps accroché à une tige ou une feuille. « Comme beaucoup d’autres insectes (dont les mouches) la Chrysomèle de l'oseille possède des centaines de soies, des poils minuscules (longueur 50µm, diamètre 2µm) situés aux extrémités de chacune de leurs petites pattes, qui génèrent l'adhésion nécessaire à leur locomotion, explique Sophie Gernay, doctorante au sein du Microfluidics Lab. » Lors de chaque déplacement, une quantité infime de liquide arrive à l'extrémité de chaque soie.

En août 2016, les chercheurs du Microfluidics Lab révélaient - dans une étude publiée dans le même journal Royal Society Interface(2) - le rôle de ce liquide pour l'adhésion. « Dans notre publication précédente, nous avons quantifié l'effet de ce liquide qui génère une force capillaire adhésive , la même que celle que nous utilisons en mouillant notre doigt pour tourner les pages d'un livre», reprend Sophie Gernay. Cette force permet de plier l'extrémité de chaque poil pour qu'il épouse davantage les rugosités de la surface sur laquelle l'insecte marche. Démultipliée par le grand nombre de soies, la force adhésive est alors suffisante pour permettre à un insecte de marcher tête en bas sur n'importe quelle surface.

Marchechrysomele

La chrysomèle de l'oseille, est un petit coléoptère qui ne pèse que 11mg.

En marche libre

Les chercheurs n’avaient jusqu’ici pas eu d’autre choix que d’immobiliser l’insecte afin de pouvoir décrypter ses mécanismes d’adhésion. « Une fois maîtrisé, nous amenions délicatement la patte de la Chrysomèle en contact avec le substrat, explique Tristan Gilet, à la tête du Microfluidics Lab. Mais force fût de constater que ce mouvement forcé de l'insecte n'était parfois pas très réaliste ». Et pour cause : les mouvements de marche de l'insecte n'avaient jamais été proprement quantifiés. « Nous avons donc décidé de prendre le temps et d’attendre que la Chrysomèle, laissée « en liberté » sur une lamelle de microscope, décide de déposer une patte dans le minuscule champ de vue du microscope. Ainsi, nous avons pu filmer et étudier les mouvements des structures adhésives microscopiques de l'insecte. »

PattesChrysomele

Vue au microscope de la face ventrale de la patte d'un chrysomèle marchant tête en bas. Chaque tache jaune représente l'extrémité adhésive d'un poil (une soie) en contact avec le substrat sus-jacent. 

Les chercheurs ont pu tirer de nombreuses leçons de ces mesures. La première étant que malgré le fait de marcher la tête en bas, la Chrysomèle n'a pas besoin d'utiliser le plein potentiel de son mécanisme adhésif. «L’insecte n'utilise la plupart du temps que la moitié de ses soies, remarque Sophie Gernay. Il  est certainement plus facile de détacher la patte lorsque celle-ci ne colle pas trop ». Seconde conclusion : les soies sont dimensionnées pour ne pas plier (sauf à leur extrémité) lorsque la patte vient frapper le substrat et il suffit à l’insecte d’utiliser quelques soies seulement pour bloquer complètement les mouvements de la patte. « L'attachement et le détachement se font alors par des mouvements de rotation de la patte, amenant chaque soie à se positionner à la manière d'un morceau de ruban adhésif.» Les chercheurs ont également pu observer que lors de l'attachement, l'insecte tire légèrement sa patte vers lui, afin que les poils se mettent bien en contact, un peu comme si il peignait la surface pour mieux l’appréhender. Le détachement, quant à lui,  est vingt fois plus précipité que l'attachement, il ne dure que quelques millisecondes. « Les soies opposent de la résistance au mouvement de la patte jusqu'au dernier moment. Lorsque ces dernières irréductibles capitulent, la patte part comme une flèche, avec une accélération de près de 50g ! Ce détachement rapide semble minimiser la quantité du précieux liquide que l'insecte abandonne là où il marche», reprend la jeune chercheuse.

Cela fait longtemps que les chercheurs étudient et regardent les insectes marcher, les premiers travaux remontent à plus d'un siècle. Ce qui est neuf dans cette étude c’est d’avoir réussi pour la première fois à filmer simultanément le mouvement global de chaque patte et le mouvement local de chaque soie. « Le premier se passe à l'échelle du millimètre, en quelques dixièmes de secondes, et il est contrôlé par les muscles de la patte. En revanche, le second se passe à l'échelle du micromètre en quelques millisecondes, et il n'est pas contrôlé. » En d'autres termes, c'est le mouvement global de la patte qui induit passivement le mouvement local des soies, pour que ces dernières génèrent l'adhésion souhaitée.

PattesChrysomele

Détachement d'une patte. Les soies sont d'abord détachées progressivement, en commençant par les plus proches du corps. Lorsque les dernières soies capitulent, la patte part en flèche. La patte fait approximativement 200µm de large, et la séquence dure environ 0.05s.

Biomimétisme

Il y a une infinité de manières d'amener une patte d'insecte ou un préhenseur microrobotique en contact avec un objet, puis de l'en détacher: arriver par le dessus ou sur le côté, glisser ou non, plus ou moins vite, avec ou sans rotations, etc. Optimiser ce mouvement en microrobotique demanderait un travail d'ingénierie colossal. « Notre effort de miniaturisation des robots se heurte en effet à une limite sévère: il semble impossible avec les technologies actuelles de saisir un objet de moins de quelques dixièmes de millimètres, et de le déposer ailleurs. »  Les insectes ont déjà trouvé une solution à ce problème au terme d'une évolution de plusieurs centaines de millions d'années. Les extrémités de leurs soies, pourtant cinquante fois plus petites, s'attachent et se détachent de la surface sur laquelle ils marchent, à une cadence dépassant nos meilleurs microrobots. C'est pourquoi leurs microstructures adhésives inspirent aujourd'hui les ingénieurs.

« Les mouvements que nous avons quantifiés chez la Chrysomèle de l’oseille avaient déjà été qualitativement observés chez la mouche, dont les pattes possèdent aussi des soies. Lorsque plusieurs espèces évoluent indépendamment vers la même solution à un problème (ici la marche rapide et robuste sur n'importe quelle surface), on peut penser que cette solution est efficace, et qu'elle constitue ainsi une excellente source d'inspiration», conclut Sophie Gernay, première auteure de la publication.

Références scientifiques

(1) Multiscale tarsal adhesion kinematics of freely-walking dock beetles, Sophie GERNAY et al., Journal of the Royal Society Interface, novembre 2017.

(2) Elastocapillarity in insect fibrillar adhesion, Sophie Gernay et al. Journal of the Royal Society Interface, Août 2016. (Lire Accrochez-vous !)

Contacts

Sophie GERNAY et Tristan GILET
Microfluidics Lab I UR A&M I Faculté des Sciences appliquées
+32(0)4 366 91 66 - Tristan.Gilet@uliege.be

Partager cette news